Le Roman de Coyote : le coyote, seul vrai « américain » ?

© Sam Carrera / Shutterstock

Sa présence et sa symbolique, des sociétés prés-colombiennes à l’artiste contemporain Joseph Beuys. 

Cet article se décompose en trois volets indépendants qui tour à tour aborderont l’importance du coyote en Amérique centrale (les Mayas et les Aztèques), pour les peuples d’Amérique du Nord (Cherokees, Crows, Sioux…) et enfin, la façon dont on se sert aujourd’hui de son aura totémique pour dénoncer les dérives de la culture occidentale. En filigrane, voyons comme il est étrangement lié aux divinités bien connues de notre continent…

On aurait pu l’appeler grand renard, petit loup, renard gris, chien de forêts ou des prairies, mais non, on piocha tous dans le lexique d’une langue des Amériques avec laquelle nous n’avons que très peu échangé : le nahuatl, descendant des langues aztèques. On emprunte généralement un usage quand la chose décrite représente tout à fait une culture qui n’est pas la nôtre : on ne traduit pas le terme, car il ne nous est pas quotidien, et, car ainsi il garde la marque de sa culture d’origine. Cela montre comment le coyote, animal endémique et exclusivement présent sur le continent américain semblent représenter à lui seul l’intégralité du territoire. Et effectivement, à peu près chaque cosmogonie proprement américaine, qu’elle soit du Mexique, de l’Equateur, du Texas, de l’Oregon, de l’Alaska ou du Québec, donne à cet animal une importance clef. Au-delà des langues, des origines, des traditions et même des époques, le coyote semble ainsi la seule constante véritablement américaine (Avec le Coca-Cola … et encore! car le coyote est plus ancien!)

Et oui, la France a dans son vocabulaire un mot aztèque ! Le mot “coyote” qu’utilisent toutes les langues latines (ainsi que l’anglais et l’allemand) pour décrire ce canidé à mi-chemin entre le loup le chien et le renard, provient d’une langue ancienne parlée au Mexique par les descendants des Aztèques, le nahuatl (coyótl). La première fois que l’animal est qualifié ainsi, c’est en 1780, par l’historien Francisco Javier Clavijero dans Historia de Mexico.

Zoologie. Il occupe une zone large du Canada à la Colombie. Plus au sud, c’est son cousin le Lynx qui prend le relais. On le connaît donc bien dans les déserts arides des États-Unis, mais il investit également des climats tropicaux ou de froides montagnes. Si sa meute le rejette, il n’aura pas de mal à survivre seul et il vit en moyenne 6 ans. Trophée de chasse prisé, il n’est pourtant pas en danger (et a résisté à l’homme blanc) grâce à sa grande capacité d’adaptation à divers climats et à divers milieux (urbains / naturels). 

© National Geographic – L’expansion des coyotes.
Depuis 1900 les coyotes ont considérablement étendu leur population et leur territoire. Il est désormais courant d’en apercevoir un ou deux dans les villes de Chicago et de Washington D.C. • Jaune : depuis 2016 • Orange : depuis 1950 • Brun : avant 1900.

Amérique central (et nord pour le Mexique) : Huehuecóyotl, dieu sage, mais libidineux.  

En langue nahuatl (idiome des Aztèques) « hue », signifie « vieux ». Hue-hue ajouté à cóyotl est donc le dieu dit « Très Vieux Coyote » ! 

L’histoire d’Huehuecóyotl en Amérique maya et aztèque provient surtout du Codex Telleriano-Remensis (livre du XVIe siècle, rédigé à Mexico sur du papier européen issu de la colonisation ; il est l’un des exemples les plus délicats et qualitatifs des manuscrits aztèques nous étant parvenus). 

Huehuecóyotl y est décrit comme le dieu de la musique et de la danse, mais aussi des plaisirs sexuels désinhibés, ou encore de la discorde, de la manipulation et des ragots. 

Les Mexicas (descendants des Aztèques) l’associaient à la bonne fortune et au récit historique, notamment oral. Coyote est donc également garant de la transmission orale qui transmet le savoir ancestral (d’où sa « sagesse » ou sa « vieillesse ») aux plus jeunes, et de la manière vive et pittoresque de raconter lors de réunions.

Huehuecóyotl décrit dans le Codice Telleriano-Remensis

Seuls ses mains et ses pieds sont humains, le reste de sa physionomie étant animal. Il a la peau ou l’habit rouge, couleur par excellence de l’astre solaire. Niveau style vestimentaire, il revêt le máxtlatl (ou taparrabo) : couvre sexe de cuir, de plumes ou de tissu, retenu par une lanière autour de la taille (image ci-dessous). Puis il se pare de plumes vertes, jaunes ou noires et de ses attributs qui sont une guitare et une paire de hochets, qui parfois deviennent un tambour vertical.

Moctezuma II, second empereur de l’empire aztèque, vers 1520 (dernière année de son règne) © The Japan Times.

Les romans de Coyote. Très proche de l’image que l’Européen se fait du renard, le coyote est connu outre-Atlantique pour être malin, rusé et largement porté sur le sexe du fait de la longue durée de son coït, de la rapidité avec laquelle il peut répéter l’acte, et de son goût apparent pour la chose. Quand l’animal se déifie, il devient aisément un personnage hautement sexuel.

Le Larousse du coyote. Si l’on creuse dans les dictionnaires des langues anciennes ou hispaniques d’Amérique maya et aztèque le mot ou partie de mot « coyote » est utilisé dans des terminologies et concepts se référant à un « humain se comportant comme un animal ». Cela s’applique à la sexualité, mais aussi à d’autres activités au cours desquelles l’humain sort de la bienséance civile et se laisse aller à plus d’euphorie : la danse, la musique, la fête, la transgression (et le sexe).

Notons par ailleurs l’étrange ressemblance entre coyote et coït… Ce parallèle entre l’animal et l’activité sexuelle se retranscrirait jusque dans le lexique français ? Étymologiquement « coït » provint du latin et non du Nahuatl. Toutefois, le terme ne semble pas être utilisé dans les textes français avant le 18e siècle. Peut-être l’importance de la colonisation française au Mexique (berceau des sociétés nahuas) lors des 17e et 18e siècles, n’est-elle pas si étrangère à l’enrichissement de notre vocabulaire… 

Selon l’historienne Lucía Aranda Kilian, au sein des communautés nahuas Pachiquitla, Xochiatipan et Hidalgo, descendantes des Aztèques, vit toujours la croyance selon laquelle pour être enfin aimé de la femme désirée, tuer un coyote, récupérer l’une de ses pattes et toucher avec celle-ci la femme aimée, la ferait tomber folle de vous. 

Au Guatemala, les Quichés pensent quant à eux que garder les os de l’animal dans un petit sac permettrait « même de faire succomber une veuve ». 

Regard vers le Sud : une sorte de Dionysos ? Tout comme le dieu grec de la fête, du vin, de la danse et du chant, des divertissements allègres et fortement sexuels, notre dieu coyote est celui qui transgresse, que ce soient les genres et les sexes (c’est une divinité bisexuelle), les lois, l’ordre, l’éthique… mais cela non pas de le but d’apporter le mal, sinon plus dans celui d’évoquer au sein du panthéon aztèque la vie humaine telle qu’elle est en réalité, en dehors des schémas idéaux. Il représente les plaisirs coupables de l’homme et les glorifie. Il n’est jamais question de répression ni de sanction apportées par d’autres divinités. En bref, Huehuecóyotl est le déculpabilisateur divin…

Dans la plupart des descriptions qui lui sont dédiées, Huehuecóyotl est suivi d’un cortège d’humains tambourins. À la manière des ménades et autres comparses orgiaques de Dionysos, ces humains ne sont pas des fidèles du dieu, mais ses amis. Ce fait est exceptionnel dans les cosmogonies méso-américaines.  

À gauche : Huehuecóyotl décrit dans le Codice Borgia / à droite, une reproduction moderne plus nette.

Certaines de ses illustrations rapportent même qu’il fut créé afin de soulager l’humanité de l’ennui. Attention toutefois, car si c’est lui qui s’ennuie, il déclenche des guerres chez les hommes…

Regard vers le Nord : une sorte de Loki ? Il est aussi un fin plaisantin, un dangereux farceur qui aime jouer des tours aux autres dieux et même parfois aux humains. Toutefois, ces plaisanteries ont la fâcheuse tendance à se retourner contre lui et à lui créer finalement plus de problèmes qu’à ses victimes. 

Comme toutes les divinités aztèques, l’augure de Huehuecóyotl est duel. Il n’est pas mauvais, ni entièrement bon. Il vous aidera à conjurer l’infortune dont d’autres dieux pourraient avoir garni votre destin et il vous accompagnera, après votre mort, dans le Mictlan, l’inframonde de la cosmogonie aztèque.

Il est aussi dit qu’il est le seul ami de Xolotl (dieu de la gémellité, de la maladie et de la difformité) ; leur « caninité » (tous deux empruntent leur forme aux canidés) les rassemblant. 

De son aspect double, de son goût pour la farce et le piège, notamment dirigés envers les autres dieux, Huehuecóyotl est très similaire au dieu de la mythologie nordique, Loki : célèbre dieu ambigu, frère jaloux du héros Thor, et fils malaimé du roi d’Asgard, Odin. 

Aussi Huehuecóyotl est-il l’une des progénitures du dieu Tezcatlipoca, divinité suprême du Ciel et de la Terre (comparable à Zeus ou à Odin) et de lui, il hérite ses dons polymorphes qui le servent à tromper… à l’instar de Loki.

Comme dans beaucoup de sociétés notamment asiatiques et africaines, être « très vieux » est symbole de grande sagesse et d’acuité philosophiques. En somme, Huehuecóyotl est un vieux singe loufoque à qui on n’apprend pas à faire la grimace.

Pour la population de la célèbre Teotihuacan, le coyote se pare davantage de significations belliqueuses. Des peintures illustrent des coyotes entourés de couteaux, d’armures, de boucliers ou attaquant directement des animaux plus faibles. Symbole de la puissance militaire, des guerriers se déguisaient en coyote afin d’invoquer son pouvoir prédateur.

Mural de Atetelco, Teotihuacán (illustrant des guerriers coyotes) © Wolfgang Sauber • Wikicomons.

Et pour ce qui est des Mayas, l’animal est présent dans le livre contant l’origine cosmogonique, le Popol-Vuh, comme l’un des tout premiers êtres peuplant le monde, et ceci, aux côtés de l’opossum. Ils sont les animaux de compagnie du couple ancestral que forme Utiú (le principe mal) et Vuh (le principe femelle). 

Avant eux déjà, les Totlèques de la grande ville méso-américaine de Tula réalisaient de très belles pièces en l’honneur de l’animal. Avec Teotihuacan et Tenochtitlan, la ville de Tula est l’un des grands centres urbains de l’Altiplano Central. Elle fut active au moins quatre siècles et son apogée se situe entre 900 et 1000 ap. J.-C., lorsqu’elle était probablement la ville la plus développée de Mésoamérique (avec un plan urbain d’environ 16 km2). 

Cette jolie pièce représente un coyote à plumes dont la gueule laisse emerger une tête humaine ; ou bien serait-ce un humain déguisé ? Le tout recouvre un vase de mosaïques de nacre. Les dents des deux personnages son faites d’os, tandis que les cheveux et la barbe de l’homme sont réalisés à partir de coquillages. La pièce fut trouvée dans l’enceinte sacrée de Tula, Hidalgo (Mexique). 

Puis débarquèrent les Européens. Les colons espagnols ne tardèrent pas à l’assimiler au renard et donc a lui prêter les mêmes caractéristiques néfastes et péjoratives que le pauvre mangeur-de-poule portait en Europe. Que ce soit en Amérique maya et aztèque, ou bien plus au nord encore, aux États-Unis, ainsi commença son extermination de masse.

Et pour les Indiens d’Amérique du nord ? 

Mais la divinisation du coyote par les hommes du continent américain ne s’arrête pas là, bien au contraire. De très nombreuses communautés amérindiennes peuplant la partie nord du continent (USA, Canada) joignent au coyote des concepts similaires. Pour chacun d’entre eux, il est synonyme de farces et de blagues qui peuvent se retourner contre lui, d’allégresse et de sexualité, de narration et de transmission orale…    

Ces deux derniers attributs évoqués sont également, comme dit plus haut, des caractéristiques que le dieu aztèque Huehuecoyótl possède. Elles vont de pair avec la danse, le spectacle, le divertissement dont il est le patron. Ces qualités sont néanmoins plus appuyées dans les croyances des indigènes nord-américains où là aussi le coyote détient une forte place dans les cosmogonies. 

© Fandom

Ces régions sont pauvres en potentiels prédateurs animaux pour l’humain. Le loup n’y ait pas présent, l’aigle ne représente pas une menace pour les tribus et l’ours, seul animal à l’aura terrible habitant dans ces régions a lui aussi sa part de récits, contes et légendes amérindiennes lui attribuant des liens spirituels et divins. Le cheval est bien utile, mais comme le gibier dont on se nourrit il sert plus l’homme, qu’il n’entre en interaction avec lui. Il nous reste donc le coyote. Ce dernier a de spécial qu’il peuple généreusement l’intégralité du continent (plus encore avant l’urbanisation des deux derniers siècles), et qu’il cohabite avec l’homme sans rien lui apporter, ni lui enlever. Les Amérindiens se méfient des bêtes qu’ils n’ont jamais cherché à domestiquer, tout en les regardant de loin, en veillant à ne pas empiéter sur leur territoire, à ne pas les tenter, ni à les titiller ou bien à les chasser. En cas de grands froids ou de famine, on en tuera à regret un ou deux, afin d’utiliser la fourrure tout en respectant rituels et honneurs. C’est un cas rare de coexistence pacifique et complète entre l’homme et un animal, où aucun des deux ne tente de contrôler l’autre, moins encore, de le dominer. En somme, il n’est pas juste un cousin du loup. Il est le (seul) voisin que l’homme amérindien accepte presque à titre d’égal, sans le classifier parmi les animaux de bétail, d’usage, de proie ou menaçant son existence. 

Au contraire, pour beaucoup de groupes amérindiens, sa survie et le maintien de ce statuquo sont justement la garantie de la survivance de l’ordre du monde. 

De cela naissent les mythes et légendes utilisant le coyote comme figure principale qu’il soit créateur, destructeur, ami ou ennemi, sage ou turbulent, éclairé ou malin. 

 » Un coyote commun à Big Run Wolf Ranch, Lemont, Illinois » © Bob Haarmans.

Chaque fois qu’il est divinisé, il prend la forme d’un être hybride masculin : une sorte d’humain à fourrure et à gueule de coyote, doté d’une queue ou d’yeux jaunes et aux dents et ongles acérés. Il sera dressé un rapide panorama des points communs et dissemblance entre tribus et sur le continent américain ; les légendes sont chaque fois plus riches que ce qui en sera relaté ici. 

Les animaux ne respectent évidemment pas les frontières et le coyote s’étend notamment du sud du Mexique, au nord de la Californie où il prend part aux contes et récits originels des tribus Karuk, Tongva, Ohlone, Miwok et Pomo. Dans les Grandes Plaines ensuite, le coyote investit les croyances Crow, Ho-Chunk et Menominee. On le trouve pareillement dans les cosmogonies des Chinook, Multnomah, Flat-head, Nez-Percés, Nlaka’pamus, Secwepemc, St’at’imc, Tsilhqot’in et Yakama.  

Le mythe de la création des Maidus veut que le coyote ait introduit le travail, la souffrance et la mort dans le monde.

Dans le folklore zuñi, le coyote a fait entrer l’hiver dans le monde en volant la lumière des kachinas. Certaines tribus, comme les Chinook, les Maidus, les Païutes, les Pawnees, les Tohono O’odham et les Utes dépeignent le coyote comme le compagnon du créateur.

Dans le mythe de la création paiute, le coyote a été créé par le loup comme compagnon, et les deux ont créé la Terre en empilant le sol sur le monde recouvert d’eau.

Un mythe Tohono O’odham (pueblo pápagos, située à cheval sur le sud-ouest des USA et le nord du Mexique) conte que lors du Déluge, le coyote aida le roi Moctezuma à survivre alors que le reste de l’humanité se faisait gentiment inonder. 

Enfin, le coyote est Napi pour les Blackfoot, et devient le First Maker ou Premier Créateur, pour les Hidatsa-Mandan.

Chef Cheyenne (Dakota Du Sud) du nom de Black Coyote (1891) © Pinterest 

Les Crows vénèrent le coyote tel AKBA-ATATDIA, la figure de la création. Sans faute, le coyote est là encore un personnage trouble et ambigu. Il aurait appris les secrets de la création auprès du Vieux créateur qui n’aurait pas apprécié cette « appropriation » de savoirs et aurait détruit l’humanité en conséquence. Mais Coyote reconstruisit le tout. Il devint alors Old Man Coyote ou First Maker.

« Après la création Only Man ne fut plus vu. First Creator se transforma en coyote et de lui descendent les coyotes actuels. Il ne sut jamais d’où il vint ». Renseigne Mme Good Bear (Mandan-Hidatsa) en 1929.

Le personnage Coyote-Ol-Man, dans l’univers de comics Ghostdancin, créer par Jamie Delano et Richard Case, en 1995.

Pour ces derniers (Crows et Hidatsa-Mandan), comme pour les autres populations citées précédemment, l’être (ou l’un des êtres) à l’origine de la création des choses du monde prend la forme d’un coyote. Une nuance est importante à relever : le coyote n’est pas un dieu, mais le dieu créateur apparaît sous la forme d’un coyote.

Sans grand cérémoniel, ni flopées d’anges ou cortège d’évènements, effusions de colère, ou retournements rocambolesques, le dieu-coyote s’ennuie et demande à des tortues (ou parfois des canards), d’aller lui trouver un bout de quelque chose, dont ensuite il créer pèle-mêle faune, flore, humains, guerres, jalousies, honneurs, montagnes…

Les Indiens navajos aussi glorifient l’animal. Leurs légendes rapportent un fait hautement intéressant qui est celui du vol du feu primordial par le coyote afin d’aider les humains. Il pousse le service rendu jusqu’à tuer quelques monstres au passage. Ceci ne vous rappelle-t-il pas de vagues souvenirs d’histoires antiques ? Quand le titan Prométhée se rendit lui aussi coupable du vol du feu olympien pour en faire don à l’humanité.

Néanmoins, le coyote navajo apporta également la mort dans le monde, expliquant au loup que sans elle, nous serions trop nombreux pour nous nourrir tous. 

Aussi ce coyote navajo se rapproche-t-il bien étroitement de notre Huehuecóyotl en ce que le service rendu lui est aussi et surtout bénéfique à lui. Notre scandinave de Loki semble frapper à la porte… Le but de ces histoires est d’enseigner des morales sacrées et spirituelles sur la duplicité de toute chose : le feu qui réchauffe, mais qui brûle, un groupe ami durant l’été et qui devient un ennemi quand les saisons se refroidissent…

© wikipedia_Coyote

Les Apaches partagent une croyance similaire : le coyote était un humain tiraillé entre le bien et le mal, et qui choisit in fine de doubler tout le monde dans la file (enfin, de s’aider elle-même plutôt que l’autre, en gros). En guise de châtiment, on la transforma en une sorte de canidé solitaire, pas vraiment loup ni chien… et le voilà devenu le premier des coyotes.

Pour revenir au coyote navajo, la déification concerne le Saint-Coyote, le Coyote divin, celui des origines. Le coyote commun, celui qui habite les plaines aujourd’hui, est quant à lui synonyme de mauvais augure. Selon la pensée navajo, si vous en croisez un, c’est qu’il est juste temps de rebrousser le chemin de votre périple, mental, ou physique, car il risque de vous arriver des bricoles. 

Pour les Indiens Hopis, le coyote est un farceur dont les bouffonneries serviront aux mal-éduqués de rappels de ce qui arrive à ceux qui ne respectent pas l’étiquette sociale ou les bases des interactions en société. Il n’a alors pas grand-chose de divin ou de digne et cela s’explique, notamment, par le fait que les Hopis vivant en terres généreuses et au climat tempéré, le coyote leur est tout à fait inutile. Il ne leur sert ni de fournisseur officiel de fourrure ni de nourriture, et moins encore de guide spirituel. 

Il en va de même pour les Lakotas Sioux si ce n’est que l’animal est enrôlé dans des histoires légèrement plus humoristiques et sexuelles. La morale se résume à choisir avec précautions ses fréquentations et à mesurer la confiance dont on gratifie notre entourage. 

Pour les Cherokees, le coyote illustre la loyauté, l’adaptabilité et l’humour en cas de situations difficiles.

Là encore, il est foncièrement duel, puisqu’il se situe à mi-chemin entre le grand sage et l’enfant étourdi.

Ses mésaventures sont autant d’outils de morale : il sert à évoquer les conséquences des actions de chacun, ainsi que le bonheur simple et la félicité dans les choses du quotidien. Enfin, à la manière de notre dieu aztèque, il est polymorphe et se transforme afin de mener à bien sa mission. Il annonce la fin d’une histoire ou un renouveau. 

Le but étant d’apprendre aux jeunes Cherokees qu’il est important de ne pas se prendre au sérieux du moment que nos actions ne représentent aucun danger.

Il est important de noter le point de vue cherokee sur la question puisqu’ils constituent le groupement amérindien le plus nombreux des État-Unis, leur pensée tend donc à être interprétée comme la « commune mesure de ce que peut bien penser l’Indien ». 

L’artiste contemporain Joseph Beuys, plus chaman que les chamans ? 

VOIR « Joseph Beuys & the coyote (I like America and America likes me, 1974) », juillet 2019, par la chaîne YouTube Public Delivery.

Extermination. Perturbé dans son territoire et l’accès à ses ressources par l’expansion urbaine et humaine, c’est tout naturellement que le coyote se hasarde de plus en plus dans les villes. Dans l’unique but de survivre, il est vrai que, parfois, il leur arrive de piocher des petits animaux de compagnie dans les jardins, mais, comme le renard ou l’ours, ils s’en tiennent surtout à nos poubelles ; l’humain reste le prédateur, et lui la proie. Ce phénomène s’étend chaque année à mesure que croissent les villes, et entraîne l’abattage encouragé de centaines de milliers de coyotes par an (env. 500 000 rien qu’aux USA). 

Cette extermination commença à l’arrivée des colons européens qui n’avaient aucun respect traditionnel pour l’animal et ne voyaient en lui qu’une potentielle menace pas très mignonne. Actant de la sorte, beaucoup des natifs indiens, qu’ils soient Crows, Maidus, Païutes, Pawnees, ou Tohono O’odham, virent leur paisible cohabitation avec le coyote éradiquée à coups de fusil ; l’ordre naturel des choses et l’harmonie du monde étant piétinés et réduits à néant par les « Blancs ». 

Photo prise à l’occasion de la performance  » I Like America and America like Me », 1974 © Caroline TisdallCourtesy of SFMoMA.

Un artiste allemand : Joseph Beuys (1921 – 1986), engagé écolo et socialiste, fondateur de l’actuel parti écologiste en Allemagne, fit partie de ces premiers artistes à « performer », à réaliser des « Aktion », ces performances volontairement provocatrices et barrées, afin de générer chez le spectateur un malaise le poussant à une réflexion sociale, politique et /ou écologique. 

En somme, Joseph Beuys est un artiste génial qui se confectionna un univers propre et qui est notamment à l’origine de ce que beaucoup peinent aujourd’hui à qualifier d’« art » et nomment plus aisément « les-artistes d’aujourd’hui-se-foutent-un-peu-de-nous, non ? ».

Mais si, Beuys est intéressant ! Et cette œuvre de 1974, « I Like America and America Likes me »  en est la preuve.

J’aime l’Amérique, mais elle, nous aime-t-elle ? C’est en substance la question que pose Beuys au travers de ces 3 jours de performance qu’il passa enfermé avec un coyote sauvage, avec pour seul objet, sa canne de bois, son chapeau et sa couverture de feutre habituel.  Il répond d’ailleurs à cette interrogation et le verdict est selon lui : pas sûr, pas sûr du tout ! 

Mais encore ? Donc pour réaliser cette performance, un beau matin de mai 1974, Beuys part de la ville de Düsseldorf et se rend à l’aéroport direction les États-Unis, mais c’est tout enrubanné dans une couverture de feutre, allongé sur une civière elle-même transportée dans une ambulance qu’il fait le trajet. Bis repetita depuis l’aéroport de New York où il atterrit, vers la toute nouvelle galerie René Block, Soho, New York.

Une fois arrivé dans les lieux, l’Allemand posa enfin les pieds à terre. Le départ de la galerie, puis le retour à Düsseldorf, 3 jours plus tard, se fit exactement de la même façon. Il y a deux raisons à cela. 

La première est qu’en 1974 les États-Unis sont en guerre au Viêt Nam, conflit dont la légitimité est hautement critiquée par le peuple américain, ainsi que par la communauté mondiale. Beuys comptait parmi ces opposants et se jurait alors de ne « remettre les pieds sur le territoire américain, qu’une fois que la guerre aurait cessé ». La galerie d’art, ce cube blanc immaculé, n’étant même pas inaugurée, il ne s’agit pas, pour Beuys, du sol américain à proprement parler. C’est donc afin de ne pas marcher aux États-Unis qu’il se fit transporter. 

La seconde raison à tout ce manège consiste en le corps « malade » qu’est l’Amérique du Nord (épicentre du monde moderne et de ses maux) et le remède que propose l’artiste par l’action de l’art et de la relation qu’il renoue avec le spirituel, le naturel, le sauvage… toutes ces choses essentielles que l’humain semble avoir oubliées et que le coyote symbolise ici.  

Photo extraite de la performance  » I Like America and America like Me », 1974 © Caroline TisdallCourtesy of SFMoMA.

En effet, Beuys aurait pu choisir d’autres moyens de transport plutôt qu’une ambulance, mais il signifie ainsi que son action résulte d’un mal — Beuys, image de l’homme en général, est malade, infirme. Et c’est en faisant de nouveau cohabiter l’homme avec la part spirituelle et animale du monde (le coyote) que pourront être pansées les plaies béantes du monde moderne, déconnecté de ses racines et de son âme. 

Les détails. Mais avec Beuys, il y a toujours plus à gratter derrière la surface. Durant les 3 jours, rien que l’apprivoisement de l’un par l’autre. Beuys vit, mange, dort, joue et s’ennuie avec le coyote sauvage qui au fur et à mesure se laisse approcher, puis toucher. Une relation pas gagnée d’avance et dangereuse, mais qui, avec patience, silence et jeu, créer un lien tout aussi naturel entre les deux êtres. 

La pièce de la galerie est uniquement meublée du couple, d’un peu de paille pour dormir, et d’une pile de journaux du Wall Street Journal chaque jour renouvelée, en guise de litière. Le coyote, et tout ce qu’il représente dans cette performance (la nature, le passé, l’Indien, l’animalité innée de l’homme, le spirituel…) urine donc sur cette icône du monde moderne occidental qu’est le Wall Street Journal. Le message est clair.

Photo extraite de la performance  » I Like America and America like Me », 1974 © Caroline TisdallCourtesy of SFMoMA.

Beuys est un fou constructif, légèrement mégalo, mais divinement génial et droit dans ses bottes (qu’on ne le taxe pas d’hypocrite en matière d’écologie ou de socialisme). Ce qu’il construit notamment au travers de cette étrange performance, c’est ce qu’il aime à nommer  « une sculpture sociale ». La matière c’est le vivant, la société des hommes, la culture en train de se faire, la vie humaine en train de se vivre, et son burin c’est justement ses actions loufoques, parfois provocantes, taquinant toujours les limites, mais qui, à n’en pas douter, assènent chaque fois un bon coup dans la roche de nos certitudes, de notre bien-pensance, de notre rigidité ou encore de notre réflexion.

In fine, en se donnant ainsi en spectacle (et en aimant ça) Beuys espère aiguiser notre capacité à l’introspection.

Certes, il aime faire le show et amuser la galerie, mais c’est très sérieusement que l’artiste revêt les atours du chaman, au sens amérindien du terme. Entrant en communication avec le coyote, cet animal que l’on a vu bien présent dans les cosmogonies autochtones de toute l’Amérique, il tente d’atteindre un autre monde, plus clément envers la nature et envers notre propre animalité ; loin de la consommation et des perversions avares. Le Beuys-chaman, ou Beuys-sculpteur tente de guérir l’humain des maux modernes qui le minent. 

En plus d’une réconciliation Nature-Culture, avec I like America and America likes Me, Beuys tente de crier haut et fort que la société américaine ne peut guérir sa fracture sociale, ses plaies ouvertes par le racisme et le sectarisme, qu’en valorisant la communication, la compréhension mutuelle entre tous les groupes sociaux et ethniques. Il montre parfaitement qu’en se laissant du temps et l’occasion de le faire, tout lien peut être construit, même avec un être que l’on fut éduqué à mépriser et à craindre (l’homme pour le coyote, l’animal pour l’humain).  

Une chose est certaine, des Beuys, des coyotes ou des chamans, on en aurait encore bien besoin ces quelques 50 années plus tard !

Photo extraite de la performance  » I Like America and America like Me », 1974 © Caroline TisdallCourtesy of SFMoMA.

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◊ Voir une autre œuvre de Joseph Beuys, et de chez vous : Plight, 1985, Musée National d’art moderne et contemporain — Centre Georges Pompidou. Visionner les 3 minutes de vidéos mises en ligne par le musée, le 26 oct. 2018 : ICI

Pourquoi un peu d’histoire « coyotisante » est-elle intéressante ?

Quelles que soient ses croyances, l’homme semble élaborer des cosmogonies similaires.

— On voit ainsi combien les dieux coyotes sont proches d’autres divinités bien connues des Occidentaux : Loki ou Dionysos ; ainsi que d’autres divinités nord-américaines ! Pour ce qui est de la chrétienté, Huehuecóyotl peut être assimilé à des aspects du diable quand celui-ci se fait vilain petit énergumène plus loufoque et burlesque que terrible démon. Que ce soit Huehuecoyótl, Loki, Dionysos ou un diablotin, ces divinités proches des êtres imparfaits que nous sommes, jouent chaque fois le même rôle : rapprocher l’humain des dieux en acceptant ses défauts et ses travers, en divinisant ses imperfections.

— De sa rébellion envers les autres dieux et son attitude envers les humains, le coyote et ses divinisations se rapprochent notamment de Prométhée (dans la Grèce antique), d’Anansi (Afrique de l’Ouest et Caraïbes), ou encore de Māui (Polynésie). Ces personnages partagent avec lui le fait d’avoir volé le Feu aux dieux et de l’avoir offert aux hommes, quitte à apporter la mort dans le monde ou à générer le désordre originel.

— Notons par ailleurs que si nous les Européens ne l’avons pas divinisé, dans le folklore français le renard aussi est synonyme de ruse, de bouffonnerie, de séduction et même de musique. Sans parler du loup qui est à la fois grand méchant, ami des sorcières, ou animal mystiquement envoûtant. 

Sources

Huehuecóyotl

Les Indiens d’Amériques 

  • Ella E. Clark, Indian Legends from the Northern Rockies, University of Oklahoma Press.,1988.
  • Alfonso Ortiz, Et coyote crea le monde – Mythes et légendes des Indiens d’Amérique du nord., 2000.
  • Joseph Medicine Crow, Herman J. Viola, From the Heart of the Crow Country: The Crow Indians’ Own Stories, BISON BOOKS, 2000.
  • Robert H Lowie., Myths and Traditions of the Crow Indians (Sources of American Indian Oral Literature), BISON BOOKS, 1993. 
  • Claude Levi-Strauss, Histoire de lynx, Plan, 1991. 
  • Patricia Turner et Charles Russel Coulter, Encyclopedia of Ancient Deities, 2002.
  • Yves Bonnefoy, Dictionnaire des mythologies (en 2 volumes), Flammarion, Paris, 1999.
  • Neil Philippe, L’encyclopédie de la mythologie : Dieux, héros et croyances du monde entier, Editions Rouge et Or, 2010.
  • Félix Guirand et Joël Schmidt, Mythes et mythologie, Larousse, 1996.
  • Jean-Loic Le Quellec Et Bernard Sergent, Dictionnaire critique de mythologie, CNRS EDITIONS, 2017.
  • http://m.quaibranly.fr/fr/explorer-les-collections/base/Work/action/list/
  • https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1992_num_42_6_404365
  • http://www.native-languages.org/morelegends/old-man-coyote.htm

Joseph Beuys 

Publié par Museum Tales

Cultivez-vous en toute détente !

Un avis sur « Le Roman de Coyote : le coyote, seul vrai « américain » ? »

  1. Merci pour cet article fort intéressant et très documenté. Impressionnant.
    Je me permet quelques conseils :
    As tu réfléchis à des articles en 2 versions : une version courte en 2 pages internet env et une version complète ? On n est plus habitué à lire de longs textes en numérique…
    Pense dans cet article à corriger ressemble par ressemblance (2eme paragraphe du Larousse du Coyote).
    Attention aussi à ne pas abuser du mot cosmogonie, un peu savant.

    J attends le suivant avec impatience 🙂

    Bizzzz

    Jc

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    ________________________________

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