La richesse de pouvoir penser à autre chose

Lorsque ma grand-mère ne comprend pas que je préfère gagner moins d’argent et faire une croix sur quelques atours du confort pour travailler pour une cause en laquelle je crois plutôt que d’être avocate pour des firmes pollueuses ou des capitalistes outranciers qui maltraitent les humains, je voudrais lui dire ceci :

Il y a toute une génération, la sienne, qui a pour idéal l’argent. Ma grand-mère a connu la pauvreté rurale. Son ascension vers la ville, vers l’accès au travail, vers l’enrichissement et l’amélioration des qualités de vie lui ont forgée un idéal de vie qui ne peut être dissocié de l’argent. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue qu’après l’amélioration des conditions de vie, vient à l’échelon suivant, l’amélioration des idéaux. On ne peut pas se battre pour la liberté ou pour les animaux si on a le ventre vide. Une fois rassasié, on peut se permettre d’avoir le luxe de penser à autre chose, de dédier son énergie aux autres, à des combats qui mènent la race humaine au-delà de son animalité. Le plus grand luxe que cette génération d’enfants de la guerre ait acquis n’est pas la machine à laver ou la possibilité de partir en vacances, non ! Le plus grand luxe qu’ait acquis cette génération est d’offrir à leurs enfants et à leurs petits-enfants la possibilité d’avoir des idéaux qui vont au-delà de l’accumulation de devises. C’est pourquoi nous, les jeunes Français et Françaises nés dans les années 80 et 90, avons le loisir de ne pas vouloir manger de viande (alors que c’était le gagne-pain de mes grands-parents), de vouloir dédier notre vie à des causes humanitaires, de vouloir nous préoccuper à temps plein ou à temps partiel de l’autre et/ou de l’environnement. Toutes ces choses « considérées comme futiles quand on n’a rien à manger et que l’on doit s’occuper de ses 6 frères et sœurs », deviennent cruciales pour les générations d’aujourd’hui qui bénéficient des avancées permises par nos ancêtres. Mais ce n’est ni un caprice, ni du gaspillage. C’est la marche logique et bénéfique des choses pour que l’humain continue d’évoluer pour le mieux. C’est la seule façon d’ailleurs. Sinon, comme le renard, la souris ou la vache, notre vie se dédie à l’accumulation de richesses dans le seul but de manger. Le plus grand confort qu’ils ont obtenu par leurs efforts (si ce n’est leur sacrifice) est cette liberté que nous avons désormais de pouvoir nous différencier du renard, de la souris et de la vache.

« Avoir de l’argent, c’est quand même bien pratique ». Certes, et nous n’oublions pas que nous en avons grâce à eux. Mais justement, nous allons désormais au-delà de la praticité. Grâce à eux, la praticité n’est plus notre idéal. Grâce à eux, nous avons le droit (et le devoir) de demander plus au monde.

À quoi bon accumuler de l’argent pour accumuler de l’argent si notre terre brûle, si nous sommes tous stériles, si la vie sur terre est devenue chimique et infernale ? À quoi bon s’être battu un jour pour sortir des campagnes si c’est pour finir en enfer en trois générations ?

Les gens pensent trop souvent, à tort, que l’opposé de « la pauvreté (économique) » est « la richesse (économique) ». Non, l’antithèse de la pauvreté — condition dans laquelle notre corps et notre tête ne servent qu’à obtenir un peu plus de salubrité — c’est le luxe de pouvoir disposer de son corps et de son esprit sans autre préoccupation que celle de permettre aux autres d’accéder à la salubrité. Et ainsi de suite.

La richesse d’un parent permet à son enfant de manger. Sa richesse à lui permettra à son enfant de faire des études. Et la richesse de cet enfant étudiant sera de donner un monde meilleur à son enfant à son tour.

Ceux qui se sont battus pour résoudre des nécessités basiques et s’en sortir ne devraient pas voir les idéaux de notre génération comme des caprices, mais comme l’achèvement de leur combat. 


Pour utiliser ce billet : « La richesse de pouvoir penser à autre chose », Lou Desance, mars 2024. | https://museumtales.com/2024/03/20/la-richesse-de-pouvoir-penser-a-autre-chose/

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Publié par Museum Tales

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