On apprécie son aspect, mais on sait pourtant si peu de son histoire tant cette oeuvre captivante continue de taire ses secrets.
L’étrange «Vasija del mono de obsidiana » (lit. « le vase du singe d’obsidienne ») est aujourd’hui l’un des chefs d’œuvres aztèque-mexicas du Musée national d’Anthropologie de la Ville de Mexico où elle est exposée. Ce vase d’environ 17 cm de haut consiste en une unique pièce d’obsidienne sculptée d’un même tenant, puis polie. Cela ne paraît peut-être pas grand chose, mais pour vous dire, aujourd’hui encore on peinerait à le reproduire sans nos récentes technologies.
Notons par ailleurs que l’obsidienne est une pierre d’origine volcanique qui en fait, n’est pas une pierre, mais se trouve être classée par les gemmologues parmi les verres.
Cette oeuvre demeure un mystère pour les anthropologues contemporains qui débattent encore de son origine et de sa technique même. Comment fut-elle taillée, puis polie ? Aucun témoignage ou autre pièce, même moins prodigieuse, ne permettent de donner des pistes certaines.
D’une étonnante abstraction, sa figuration reste libre d’interprétation : le singe sort-il du vase ou bien est-il le vase ? Et déjà, pourquoi un singe quand le jaguar, l’aigle et le serpent règnent en maîtres dans l’iconographie aztèque-mexica ?

Zéros infos, pour un mystère complet. Il est affirmé qu’il fut trouvé à Texcoco et… c’est à peu près tout. Sa découverte ayant échappé aux experts, ces derniers furent longtemps incapables de lui attribuer un site archéologique de rattachement et moins encore, un contexte culturel fiable. Le singe d’obsidienne fut ainsi plusieurs fois pris en exemple pour fustiger les pillages de sites archéologiques au profit des collections privées, chose commune jusqu’au début du XXe siècle.
Aussi estime-t-on qu’il daterait d’entre 1250 et 1521 ap. J.-C.
À quand le film ?
Outre l’aspect détonnant et le manque d’informations, l’histoire de l’objet est tout à fait particulière et renforce bien évidemment son aura mystérieuse.
Il est souvent dit que l’oeuvre intégra le musée d’anthropologie dans les années 1920 d’après le don d’un fermier qui l’échangea pour rien de plus qu’un peu de maïs ! Mais, en fait, les registres mènent à penser différemment : le Singe serait plutôt arrivé au début des années 1880, puisqu’une description de l’objet (et il n’y en a pas deux ainsi) en est faite en 1882 ! La docteure en anthropologie Jane M. Walsh y relevait « nous attirons spécialement l’attention sur le précieux vase d’obsidienne provenant d’une tombe ancienne située […] proche de Texcoco ». Pas de paysan, ni de maïs. Il s’agirait plutôt d’un médecin de campagne l’ayant acquise en paiement contre consultation à un patient qui l’aurait lui-même extrait, plus ou moins légalement d’un site qu’il aurait préféré taire. Les chances de tirer des indices du lieu de repos du vase sont donc égales à zéro.
En 1891 ensuite, une photographie du singe d’obsidienne légendée « civilisation acolhua », branche des Méxicas, eux-mêmes étant une branche des Aztèques, renseigne que revint très vite à ces derniers la paternité du vase.

Il est difficile de ne pas remarquer comment le vase d’obsidienne semble dénoter des autres objets, non ?
Un vol de Noël. D’origines énigmatiques on ne fait pas tout à fait un film ; pas un blockbuster, en tout cas. En revanche, on en fait d’après le « vol du siècle » mexicain ! De fait, le film « Museo » d’Alonso Ruizpalacios, sorti en 2018, fait état de l’histoire du vol de 1985 durant lequel deux muchachos firent leur marché au sein du Musée national d’anthropologie de la ville de Mexico et repartirent tranquillement avec 124 pièces d’origine pré-hispanique, dont notre singe en obsidienne.
Le vol, perpétré par deux étudiants modèles en sciences vétérinaires, fut annoncé dans la matinée du 25 décembre et 50 milles pésos mexicanos furent offerts à toutes personnes pouvant mener à une piste sérieuse. Pour le grand bien de l’humanité, le Mexique ne rigole pas avec son patrimoine !
Les pièces dérobées furent ensuite données à un narco-trafiquant d’Acapulco qui les évalua à 1000 millions de pésos mexicanos. Ce dernier, malchanceux, fut pris par les autorités en 1989 et soucieux de ne pas rester trop longtemps en prison, donna toutes les informations nécessaires à la récupération de 111 œuvres, et d’un des voleurs. L’autre courant toujours, probablement riche de la vente des 12 œuvres manquantes à ce jour. Notre Singe fut ainsi restitué sain et sauf et fort d’une fame nouvelle.
Pour en savoir plus (en espagnol exclusivement), c’est ICI.
Une iconographie plurielle.

Dans « Imagenes de los animales en manuscritos mexicas y mayas », Eduard Seler écrit que le singe, s’il n’est pas l’un des animaux principaux de la cosmogonie méso-américaine, constitue tout de même un symbole de choix, pas si rare que ça donc ! Joyeux et malin il était attribué au chant et à la danse, mais également aux plaisirs interdits et à la mort. Il était effectivement vu comme un animal de mauvais augure puisqu’il avait la manie d’apparaître en masse dans les zones urbanisées avant qu’un évènement important se produise ou que les conditions climatiques empirent drastiquement.
Des experts avancent que le vase serait dédié à la divinité aztèque-mexica primaire « Quetzalcóatl » (le serpent à plumes fondateur), mais sous sa forme « Ehecatl » (« du vent ») que le dieu prend afin d’annoncer la pluie. Si Ehecatl est effectivement représenté tel un primate noir, c’est car l’habilité acrobatique de l’animal l’associe aux mouvements de l’air et du vent, et car le noir renvoie aux sombres nuages qui menacent avant la pluie.

Dans les représentations aztèques, le noir est en effet la couleur de l’infra-monde, de la nuit et de l’humide. Les objets convoquant la pluie étaient ainsi décorés de tons sombres : bleus ou noirs.
Autre analyse plus terre-à-terre, celle décrivant le primate du vase comme une femelle Ateles fusciceps robustus (plus simplement : Atèle ; ou encore « singe-araignée »). Aussi serait-elle en pleine gestation au vu de la panse ventrue rompant l’arrondi global du vase. On reconnaît effectivement la longue queue fine et le noir de son pelage, ainsi que les traits spécifiques de la face : petit visage ramassé, arcade proéminente et bouche arrondie.
Illustration religieuse ou simple représentation zoologique ? Ou les deux… l’Atèle ayant servi de modèle pour représenter Ehecatl- Quetzalcóatl ?

Un style étrangement d’ »Ailleurs ».
On n’en a pas fini avec ce singe. L’usage de l’obsidienne couplé à son apparence, zoologiquement reconnaissable bien que stylisée, contredit son lieu de découverte (site mexica), puisque ce vase reste sans pareil avec les nombreux vestiges qui nous sont parvenus de la civilisation Mexica-Aztèque.
Certains experts rapprochent davantage le vase des sociétés de l’Altiplano central, c’est-à-dire, le sud du Mexique, l’Équateur, le Pérou…
Si polie ! Un autre mystère demeure, celui de sa grande brillance, alors que les machines à polir n’existaient pas et qu’obtenir un tel effet à la force de la main résulte du génie.
En outre, de l’étrange récupération post narco-trafiquant, surgit l’hypothèse selon laquelle la version restituée au musée serait un faux…

L’archéologue Emiliano Ricardo Melga, spécialiste en gemmologie, ne sut dire comment une civilisation dépourvue des outils actuels parvint à un tel résultat de polissage, mais (et c’est bien là son importance), il conclut qu’il n’y avait là aucune marque des technologies récentes, sinon seulement des traces d’autres pierres, et authentifia ainsi son ancienneté !
Ajoutons enfin qu’ils existent bien des vases légèrement similaires, mais ils sont apparentés aux civilisations Totonaca et Mixtèque, ne sont pas réalisés en obsidienne, et ne présentent pas la même qualité d’exécution. Soyez juges :

Notons toutefois que ces oeuvres ne sont pas complètement opposées. Le vase de gauche présente la même position des jambes : la gauche étant replié sur le côté, tibia au sol, tandis que la droite pose seulement le pied. Cette position ressemble à une respectueuse révérence cavalière… Quant au vase de droite, on y reconnaît la queue passant par-dessus la tête et tenue par les deux mains du singe. Mais pourquoi donc un tel écart de réalisation ? Est-ce suffisant pour relier cette oeuvre à celle Totonaca ou Mixtèque ?
Le singe d’obsidienne n’a pas finit de nous surprendre…
EN BONUS : Le président mexicain Carlos Salinas de Gortari, se faisant conter une blague par notre fameux singe, vers 1989.

Sources :
- Seler, Eduard, Imagenes de los animales en manuscritos mexicas y mayas, Casa Juan Pablos, 2004.
- Walsh, Jane M, “La vasija de obsidiana de Texcoco”, In Arqueología Mexicana núm. 70, pp. 66-67.
- https://matadornetwork.com/es/piezas-que-ver-en-el-museo-nacional-de-antropologia-mexico/
- https://tuul.tv/es/cultura/misterios-oculta-vasija-mono?amp
- https://elespejohumeante.mx/el-robo-del-siglo-en-mexico/
- https://arqueologiamexicana.mx/mexico-antiguo/la-vasija-de-obsidiana-de-texcoco
- https://mediateca.inah.gob.mx/repositorio/islandora/object/objetoprehispanico:16035
Bonjour, je possède un vase similaires en obsidiene noir. J’aimerais le faire expertiseé et le vendre. Cordialement
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